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Un pont trop loin

Chronique mensuelle Invest Am - 03 mai 2022


« Les amateurs discutent de tactique, les pros étudient la logistique »
(O. Bradley, commandant des forces américaines en Europe durant la seconde guerre mondiale)
 

Un pont trop loin fait allusion à un livre éponyme de Cornelius Ryan, également auteur du Jour le plus long , qui retrace l’opération « Market Garden » qui  s’est déroulée en Hollande à la fin de l’année 1944. Cette opération visait à capturer intact un pont sur le Rhin qui constituait la dernière ligne de défense majeure de l’Allemagne nazie. L’opération avait deux composantes risquées, tant du point de vue militaire que logistique : une aérienne, avec le parachutage de troupes sur ce pont et une terrestre, avec l’avancée d’une colonne blindée qui devait capturer 4 ponts avant de relever les parachutistes. Le général Bradley s’y opposa farouchement car elle privait ses propres troupes de matériel mais aussi et surtout parce qu’il jugeait, à juste titre, que cette opération trop audacieuse sous-estimait gravement les difficultés opérationnelles ainsi que la détermination de l’ennemi. L’opération échoua pour de nombreuses raisons : erreurs de renseignement, mauvais temps, logistique mais avant tout parce l’objectif était trop ambitieux. Ce décalage entre un objectif élevé, voire hors d’atteinte, et des hypothèses et moyens initiaux se retrouve clairement dans l’agression russe en Ukraine. Ainsi, l’opération tentée initialement par les forces russes sur Hostomel ressemble beaucoup, dans sa conception, à « Market Garden » et a d’ailleurs connu le même sort. De même, dans un registre heureusement moins meurtrier, on peut constater que l’ambition de la FED d’éradiquer l’inflation sans générer de récession semble ouvrir la porte à « une hausse trop loin ».

Une diminution sensible des « buts de guerre » russes
 

Concernant les développements en Ukraine, l’offensive sur Kiev s’est soldée par une victoire ukrainienne et l’essentiel de la confrontation s’est ensuite déplacé vers l’est. En revanche, on peut constater une diminution sensible des « buts de guerre » russes : la conquête de l’intégralité des territoires du Donbass et l’établissement d’un couloir terrestre entre la Crimée et ce dernier. Le piètre état des moyens humains et de la logistique russe dictent le choix d’une offensive limitée mais intense qui vise à réduire le saillant de Severodonetsk, ultime présence ukrainienne dans le Donbass mais également de déclarer la victoire à Mariupol en dépit de la présence toujours organisée des forces ukrainiennes. Si l’offensive échoue, alors seule l’annonce très risquée politiquement d’une mobilisation générale en Russie pourra refaire pencher la balance. On peut également constater que, selon le Pentagone, les forces ukrainiennes sont désormais à parité en terme de nombre de chars opérationnels avec l’armée russe qui ne dispose plus que d’une supériorité significative dans le domaine de l’artillerie. Mais les récentes annonces de livraison de matériel par l’OTAN risquent de mettre à mal cet avantage conséquent lorsque les troupes ukrainiennes seront opérationnelles.
 

Les banques centrales et l’inflation : les deux attendus de la bonne résistance des marchés
 

Néanmoins, les investisseurs semblent clairement s’adapter à la poursuite de la guerre. En effet, en dépit de la poursuite des combats et de la persistance d’une inflation extrêmement élevée, les marchés actions mondiaux se situent nettement au-dessus de leur niveau d’avant conflit. La bonne résistance de ces derniers semble reposer sur deux attendus qui touchent à la « logistique » des marchés financiers : les banques centrales et l’inflation.

Le premier de ces attendus est le maintien d’un environnement de croissance nominale et de demande élevée dans lequel la hausse des coûts de production peut être transférée aux acheteurs sans impact sur la demande finale. Dans cette situation de hausse concomitante des prix et des salaires, l’activité se maintient en équilibre. Néanmoins, si la croissance devait ralentir, il faudra choisir entre augmenter les prix et voir la demande s’effriter ou bien absorber les hausses de coût et constater une baisse des marges.
 

La Fed n’a réussi qu’une seule fois un « soft landing » de l’économie américaine
 

Mais surtout, les marchés ne semblent pas avoir de doutes dans la capacité de la Fed à réussir un « soft landing » de l’économie américaine : réduire d’environ 4% le niveau d’inflation sans pour autant augmenter le chômage. Or, cette dernière n’a réussi qu’une seule fois à atteindre cet objectif (en 1994) dans des conditions totalement différentes : à l’époque, les matières premières étaient en chute libre, la fin de la guerre froide permettait aux économies occidentales de toucher le dividende de la paix et l’ère internet débutait, déchainant un bond en avant de la productivité des économies. Mis à part cela, tous les autres resserrements monétaires ont fini en récession avec une correction boursière significative. Il nous semble que l’économie américaine est plus fragile qu’il n’y parait et que par exemple, le marché immobilier aura du mal à supporter un doublement des taux hypothécaires à 30 ans. Néanmoins, un retournement de la conjoncture prends un peu de temps et nous laisse encore quelques mois pour ajuster nos positions.
 

Nous clôturons le premier trimestre en territoire positif !
 

Concernant nos portefeuilles, nous conservons une approche défensive tout en recherchant une diversification maximale sur les devises ainsi que sur les matières premières non agricoles. Nous avons eu le plaisir de constater à la fin du trimestre que tous les fonds de notre gamme Invest Latitude affichaient une performance positive en dépit d’une baisse concomitante des marchés obligataires et boursiers depuis le début de l’année.

 

Gilles
Gilles ETCHEBERRIGARAY
DG et Directeur des investissements

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