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A l'Est, du nouveau !

Chronique mensuelle Invest Am - 08 mars 2022


Les événements récents en Ukraine nous amènent à compléter la note que nous avions publiée il y a 10 jours. Malheureusement, nos prédictions concernant la date de démarrage de l’offensive russe se sont avérées exactes. Néanmoins, nous espérions, à l’instar de nombreux kremlinologues et apparemment des services de renseignement français, que la réputation de V. Poutine de ne prendre que des risques calculés et limités se vérifierait à nouveau. Cependant, les analyses militaires fondées sur une nouvelle forme de renseignement l’OSINT (Open Source Intelligence ou analyse des réseaux sociaux) démontraient qu’une offensive militaire apparaissait inéluctable. L’Ukraine, dont le Kremlin nie l’existence politique, a donc été attaqué de façon élargie au nom du revanchisme et d’une vision impérialiste.


Que penser de l’offensive russe ?

 

Les premiers jours de l’offensive laissent entrevoir un curieux mélange d’illusions politiques, d’incohérences tactiques mais également d’une forme de retenue qui pourrait ne pas durer.

Au-delà de la capacité de résistance de l’armée ukrainienne, les surprises négatives ont été nombreuses pour l’armée russe :

  • Le plan initial est vite apparu comme incohérent, notamment l’assaut aéroporté quasi-suicide le premier jour sur Holmodel, et reposant sur un effondrement immédiat de l’armée ukrainienne.
  • Une absence de maîtrise du ciel et des frappes initiales peu efficaces et limitées du fait du nombre insuffisant de missiles guidés.
  • Une logistique désastreuse en dépit des courtes distances au nord et une armée sous équipée dans certains domaines comme les télécommunications (usage de téléphones portables ou de talkie-walkie civils non codés), probablement le résultat d’une corruption rampante pendant des années.
  • Une armée d’invasion un peu hétéroclite comprenant des conscrits ou bien des éléments de la Rosguardia (gendarmerie mobile) au moral proche de zéro. Seules les unités d’élite (VDV aéroportée, Spetsnaz ou tchéchènes de Kadyrov) semblent vraiment se battre.
  • Une défaite informationnelle complète avec le refus d’évoquer le conflit en Russie et un champ libre laissé à la communication ukrainienne sur les réseaux sociaux mondiaux. On peut également souligner le rôle des services de renseignement américains qui ont privé l’agresseur russe de la moindre justification pour le conflit.
  • Un échec politique total en Ukraine ou la retenue initiale affichée par l’armée russe devait permettre de s’attirer les faveurs de la population locale. A contrario cela a permis de galvaniser la résistance, ce qui a ensuite convaincu les occidentaux de prendre des mesures maximalistes en termes de sanctions, ce qui n’était pas acquis initialement. Sur le plan interne, la censure de plus en plus absolue de l’information et l’étendue de l’agression semblent renvoyer la Russie à un régime militaire.

Néanmoins, le conflit vient de commencer et l’état-major russe va s’adapter, probablement en revenant à ses fondamentaux qui reposent sur un usage massif de l’artillerie. Et ce dernier va viser à obtenir une victoire rapide sur l’un des quatre points où la pression semble aujourd’hui la plus forte :

  • Kiev, où la situation semble bloquée et les Ukrainiens en place défensivement. Cette ville semblant être devenue l’objectif numéro 1 des Russes.
  • Kharkov, bombardée depuis le premier jour.
  • Marioupol, sur la mer d’Azov, qui empêche l’établissement d’un lien terrestre avec la Crimée et qui est assiégée et bombardée.
  • Odessa, où pour l’instant une tentative de débarquement a été annulée, les forces russes semblant être bloquée près de Nikolaïev.

Le sud de l’Ukraine est le seul endroit où les troupes russes ont pu faire une avancée substantielle mais sans qu’aucune percée conséquente n’ait été faite. A part Marioupol, aucun objectif stratégique n’apparait atteignable dans les jours qui viennent et le tempo opérationnel devrait augmenter avec une hausse des pertes civiles. En revanche, il semble que le conflit tourne au cauchemar logistique pour l’armée russe, cette dernière ne disposant que de quelques semaines d’approvisionnement.

Il apparait donc que l’armée russe ne serait pas capable de maintenir un conflit de haute intensité pendant plus de quelques jours et nous devrions donc voir les positions se geler progressivement avant que le conflit n’entre dans une phase plus attentiste à l’instar du Donbass.
 

Les conséquences géostratégiques du conflit
 

Comme nous l’avions évoqué précédemment, les marchés de l’énergie sont fortement touchés : ce conflit est l’équivalent pour les matières premières de ce qu’a été la Covid pour la production industrielle.

De façon plus ou moins inattendue, nous pouvons faire les constats suivants :

  • L’ampleur et la rapidité des sanctions ont mis la Russie au ban des nations du monde : seuls les pays parias (Corée du nord, Syrie, Biélorussie) ont clairement soutenu l’invasion. On peut noter également la neutralité plus ou moins embarrassée de l’Inde et de la Chine ainsi que d’une grande partie du proche orient. De son côté, l’économie russe a quasiment été renvoyée vingt-cinq ans en arrière.
  • L’Europe occidentale se réarme avec le virage allemand et les interrogations de plus en plus ouvertes de la Suède et de la Finlande en faveur d’une adhésion à l’OTAN. L’UE commence également à acquérir des compétences dans le domaine militaire (coordination de l’aide, acquisition de matériel, mise à disposition de l’Ukraine du centre satellitaire de l’UE).
  • Enfin, seule victoire stratégique pour V. Poutine, la Russie a de facto annexé la Biélorussie : c’est la conséquence logique de l’intervention décisive du Kremlin pour sauver le pouvoir de Loukachenko. Néanmoins, on peut constater que l’entrée attendue des troupes biélorusses dans le conflit a été empêchée par de nombreuses désertions ou démissions.


Quel impact sur nos portefeuilles ?
 

Au regard des enjeux et des malheurs que nous venons d’évoquer, l’analyse de nos portefeuilles peut paraître un peu triviale. Néanmoins, nous pouvons constater que les fonds Invest Latitude ont parfaitement résisté durant la crise du fait de la mise en place de couvertures significatives sur les marchés juste avant l’offensive russe ainsi que du fait d’une forte exposition à l’énergie et aux marchés américains moins touchés par la crise. Tous les fonds Invest Latitude affichent au 8 mars 2022, une performance positive depuis le début de l’année.

En conclusion, la Russie peut gagner la guerre et occuper une partie du territoire ukrainien, mais la suite politique n’en sera que plus compliquée. En l’absence de percée significative dans les dix jours, un armistice pourrait être envisagé. Nous pouvons d’ores et déjà constater une diminution des diktats russes : dénazifier un président et un premier ministre d’origines juives ne fait plus parti de leurs exigences.

Sinon, la guerre pourrait durer avec un gel progressif des positions et une guerre de partisans derrière les lignes russes. Cependant, on voit mal comment la Russie, dont le PNB est environ 20% supérieur à celui de l’Espagne, pourrait soutenir durablement un tel effort de guerre et surtout ses conséquences politiques internes.

Enfin, eu égard au coût humain, politique et économique de l’invasion ainsi qu’à la faible compétence affichée par l’état-major russe, il y a clairement peu de risque que le Kremlin puisse se lancer dans une nouvelle aventure militaire dans les années qui viennent. L’attaque de l’Ukraine est un événement géopolitique majeur, une tentative de revenir trente ans en arrière qui entraînera des conséquences politiques importantes en cas de maintien durable de V. Poutine. À moins que ce conflit ne marque le début de la fin de son pouvoir.

 

Gilles


Gilles ETCHEBERRIGARAY
DG et Directeur des investissements

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