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Actualité financière

Chronique mensuelle Invest Am - 08 février 2022

 

Nos lecteurs auront reconnu une allusion au fameux roman d’Eric Maria Remarque, « A l’Ouest, rien de nouveau ! ». Ce roman, sorti en 1924, évoque les horreurs de la première guerre mondiale avec une vision résolument pacifique. L’inversion volontaire du point cardinal vise la situation ukrainienne où la ligne de front dans le Donbass nous fait clairement penser aux tranchées de la Grande Guerre. Pour le moment, un calme précaire règne mais les deux prochaines semaines vont être cruciales pour l’évolution de la situation. Nous allons donc évoquer les raisons profondes de ce conflit, les possibilités d’évolution et l’impact que cela pourrait avoir sur l’économie mondiale.
 

Des causes plus complexes qu’il n’y parait
 

Cette brusque montée de fièvre a plusieurs causes. Certaines sont structurelles, comme l’évoque la phrase prémonitoire de l’ancien conseiller à la sécurité nationale américain Z. Brezinski, « sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire ». En effet, Vladimir Poutine a toujours considéré la fin de l’URSS comme « la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle ». Cependant, la situation nous semble avoir également été influencée par deux autres événements géopolitiques récents. D’une part, la sortie peu glorieuse d’Afghanistan qui renvoie une image de faiblesse de l’OTAN et d’autre part, la victoire azérie dans le conflit avec l’Arménie qui a notamment montré qu’une utilisation à grande échelle des drones peut permettre de transpercer assez aisément un dispositif défensif organisé selon les canons militaires russes.

Cette innovation militaire n’est passée inaperçue ni à Moscou ni à Kiev qui a depuis plusieurs années fait l’acquisition de drones identiques. En conséquence, Vladimir Poutine semble avoir voulu imposer un retour d’une « sphère d’influence » russe pendant, ce qui semble être, un moment de faiblesse de l’OTAN et avant que l’Ukraine ne puisse atteindre une capacité militaire qui lui permette de reconquérir le Donbass sans que la Russie ne puisse réagir sauf au prix de lourdes pertes.

En revanche, il est clair que le Kremlin a sous-estimé la réaction de l’OTAN à sa tentative de coup de force. De même, sa vision d’un peuple Ukrainien égaré souhaitant sa réunification avec le peuple (grand) frère russe parait peu réaliste et complique la possibilité de transformer une éventuelle victoire militaire en victoire politique. Une autre inconnue réside dans la capacité de résistance de l’armée ukrainienne à une première frappe à distance. Cette dernière manque clairement de moyens antiaériens et antibalistiques mais dispose de près de 450 000 hommes plutôt correctement entrainés et bien dotés en armes légères et moyennes.
 

Les prochains jours seront déterminants
 

Le risque maximum se situera autour du 20 février car les JO d’hiver de Pékin s’achèveront. Pour rappel, la Russie avait envahi la Crimée après les jeux de Sotchi et le démarrage de la guerre en Géorgie durant les jeux de Pékin de 2008 apparait ex-post comme une erreur d’appréciation du président géorgien de l’époque cédant trop vite aux provocations russes. A cette date, le dispositif militaire sera à son apogée et les exercices en cours en Biélorussie s’achèveront : les troupes russes présentes devront alors rentrer. Par la suite, la Russie ne pourra maintenir indéfiniment un dispositif aussi imposant et coûteux. En outre, la fonte des neiges rendra le terrain difficilement manœuvrable pour les chars russes à compter de la mi-mars.

Les troupes russes étant désormais positionnées à quelques kilomètres de la frontière, Vladimir Poutine dispose de plusieurs options qui vont d’une attaque limitée sur le Donbass, en passant par des bombardements aériens, à une invasion et une occupation de la partie orientale de l’Ukraine à l’Est de la rivière Dniepr, jusqu’à une offensive sur Kiev pour établir un régime à sa solde. Cependant, les bombardements et les combats en milieux urbains pourraient être extrêmement meurtriers et mobiliser l’opinion mondiale contre la Russie (surtout en l’absence totale d’un prétexte crédible). Il pourrait donc maintenir la fiction d’une guerre civile interne à l’Ukraine en privilégiant une attaque limitée sur le Donbass pour essayer d’agrandir la poche et surtout de dégrader très significativement les capacités militaires ukrainienne. Il peut également reconnaitre l’indépendance des républiques du Donbass violant ainsi l’intégrité territoriale de l’Ukraine sans opération militaire. Enfin, il peut laisser la crise durer un peu puis ramener les troupes dans leurs casernes en se vantant d’avoir résisté victorieusement aux « provocations » de l’OTAN.
 

Un impact majeur sur le marché de l’énergie et l’inflation européenne
 

Dans tous les cas, une opération militaire même peu significative risque d’avoir un impact majeur sur l’économie mondiale et plus particulièrement sur les prix de l’énergie. En effet, la Russie est le troisième producteur mondial de pétrole et fournit 38% du gaz naturel consommé en Europe.

Cependant, au-delà de l’impact géopolitique potentiel d’une guerre conventionnelle majeure aux frontières de l’Europe, cette actualité met également en lumière l’évolution du marché de l’énergie, notamment en Europe. Ainsi, la réorganisation de ce dernier a permis l’optimisation sans heurt des capacités de production excédentaires les plus carbonées tout en conférant au gaz naturel le rôle de principale énergie d’appoint. Néanmoins, on peut constater les limites de la nouvelle organisation :
 

  • De façon générale, l’insuffisance d’investissement dans la production d’énergies compatibles avec la transition énergétique au cours de la décennie précédente.
  • Le problème de la création et surtout de la rémunération des capacités excédentaires mobilisables en cas de souci avec l’intermittence de la production d’énergies renouvelables (par exemple, l’absence de vent dans le nord de l’Europe en octobre 2021).
  • Un marché du gaz naturel devenu global et tendu avec une dépendance excessive de l’Europe envers la Russie, même si cette dernière n’a aucun intérêt économique à perdre un client important et solvable en cas d’usage abusif de l’arme énergétique.

 Ces problèmes structurels, mis en exergue par la crise ukrainienne, ont eu un impact très direct et négatif sur les taux d’inflation et la croissance en Europe. Cela a permis une prise de conscience des autorités européennes qui ont lancé une revue de la politique énergétique, notamment à travers la fameuse « taxonomie » qui se traduit concrètement par une relance des programmes nucléaires mais également par une diversification des modes d’approvisionnement gaziers.
 

Impacts sur la gestion de nos portefeuilles
 

Dans ces conditions, où la décision de Vladimir Poutine nous parait difficile à anticiper (même si la réaction coordonnée de l’OTAN à la fois diplomatiquement et militairement a probablement limité son appétit pour le risque), nous avons préféré ne pas jouer à la roulette (russe en l’occurrence) avec nos portefeuilles et avons décidé de limiter l’exposition au risque de nos fonds Invest Latitude en diminuant légèrement le risque actions et en achetant des actifs liés à l’or. Nous avons cependant conservé une forte exposition aux actifs liés au secteur de l’énergie qui reste une forte conviction que nous continuons de porter.

 

Gilles


Gilles ETCHEBERRIGARAY
DG et Directeur des investissements

© INVEST AM

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